« Pourquoi pas moi ? »
Ces mots résonnaient inlassablement dans le petit édifice vide qui ne manquait pas de charme. Des lumières magiques mettaient en valeur l'allée centrale lumineuse au bout de laquelle une toute jeune fille se tenait prostrée sur les marches, littéralement effondrée devant une statue censée représenter Mystra.
« Pourquoi pas moi ? »
Des imbéciles qui voulaient absolument tisser, il en voyait défiler chaque jour. Mais si l'avidité ou la puérilité de ces êtres le laissaient ordinairement de marbre, quelque chose le touchait chez cette jeune fille. Elle était là depuis un bon moment déjà, si bien qu'elle ne parvenait plus à maintenir la position de la prière. Le prêtre était resté observer en silence, d'abord avec agacement, puis avec compassion. Il regardait les mains rougies par le marbre de la jeune fille, ses genoux tremblants qui ne parvenaient plus à la soutenir et parvenait à distinguer d'infimes sanglots interrompus régulièrement par ce leitmotiv qui faiblissait lentement, les mots devenant de plus en plus difficiles à articuler :
« Pourquoi … pas … moi ? »
Cette fois, il n'y tint plus. Il s'avança vers elle, faisant résonner ses pas sur le sol et tonna d'une voix forte « Et pourquoi vous ? ». Surprise, la jeune fille tourna lentement la tête et lorsqu'elle reconnut le symbole de la déesse sur la tunique de l'homme, elle se détendit et répondit avec difficulté :
« Parce que … parce que toute ma famille tisse. Parce que mes parents sont des sorciers et que les leurs l'étaient aussi.
- Ca ne fait pas de vous quelqu'un de légitime pour autant, répondit-il, placide. »
Elle ajouta alors que sa sœur aînée et sa sœur cadette tissaient également, et qu'elle se sentait à la fois humiliée, punie, méprisée. Si les membres de sa famille faisaient tout pour lui porter tout de même de l'affection et l'intégrer, ils mettaient d'autant plus en exergue sa différence. Chaque témoignage de réconfort la brûlait de l'intérieur, et chaque petite plaisanterie quotidienne de la part de ses sœurs sur l'absence de dons la brisait chaque jour un peu plus. Bien sûr ses sœurs le faisaient avec la plus grande innocence, ne se doutant pas que derrière le faux rire de Nastassia se cachait une douleur sourde qui la rongeait peu à peu.
Finalement, après un long échange avec elle, le prêtre se rendit compte que Nastassia n'était pas motivée par le désir de puissance ou autres idioties. Non, elle avait été éduquée dans un profond respect de la magie et l'aimait pour elle-même, tout en vénérant la déesse avec la plus grande sincérité.
Empli d'émotions, il se rapprocha encore d'elle avant de s'accroupir et de saisir doucement son menton pour la regarder.
« La Dame ne vous a pas privée, au contraire. Je crois qu'elle vous a fait le plus beau des présents mais que vous êtes trop aveuglée par la souffrance pour vous en rendre compte. »
Ainsi débuta l'apprentissage de Nastassia.