Aventures de Sentinelles

Cela fait trois semaines maintenant qu’une bonne partie des Sentinelles a quitté la Campagne. Trois semaines de travail intense dans une zone infestée de morts-vivants, abattus la journée, revenus dans la nuit. Une tâche sans fin, épuisante mais c’est le prix à payer pour être libre. Libre et vivre en harmonie avec ses convictions, dans la préservation de l’équilibre et dans l’éradication de la non-vie. Cette liberté que les Sentinelles ont offert de partager avec les citadins, mais qui ne leur a valu que mépris, méfiance et, finalement, trahison cruelle.

Trois semaines de travail, pour les traqueurs, les chasseurs, les rôdeurs, à nourrir et protéger le groupe. A déblayer, nettoyer, assainir les terres jadis fertiles. A modeler, élever, renforcer, construire et bâtir, pour les druides et les arcanistes, ces anciens fossés comblés et putrides, ces douves sordides, ces palissades vermoulues, ces murs enfoncés.

Trois semaines de labeur pour un résultat hors du commun, symbole de la cohésion d’un groupe, de la polyvalence de ses membres, de leur volonté et de leur force de caractère. La place est nettoyée, les douves curées et remplies de nouveau. Les murailles, élevées par magie, ont été renforcées et leurs pierres transmutées en granit des plus solides. Bientôt elles protégeront le plus précieux des trésors de la région. Bientôt, si les Dieux sont cléments.

Une des sources d’invasion nécromantique a été localisée, analysée, et neutralisée. Le flot de morts a nettement diminué, seuls des égarés parviennent encore jusqu’aux murs s’ils ne sont pas abattus par les patrouilles en forêt. Mais bien des menaces pèsent toujours qui, loin de décourager les Sentinelles, les poussent à davantage d’ardeur. Comme ce Comte de Runébène, qui les a menacés par l’intermédiaire de son diable domestique. « Cessez de massacrer mes morts ! » a t’il dit, comme si cela était un crime odieux.

Ce Comte qui revendique les terres reprises à la Mort. Il se dresse devant eux, accompagné d’un officier de l’Ecorché et sa monture draconique squelettique. Cet officier traite les Sentinelles par le mépris, encore une fois, délégant au Comte de Runébène le soin de défendre les terres qui lui ont été confiées. Mais que peut faire ce nécromant, accompagné de sa goule, contre ces chasseurs de morts-vivants ? La réponse arrive rapidement, alors que l’individu lève une main ornée d’une bague au diamant colossal.

La terre tremble, la terre gémit, la terre se cabre et expulse des hordes de morts dans le crépuscule, comme le furoncle d’une guenaude, comprimé par ses doigts crochus, laisserait s’échapper un flot de pus. Les combattants s’élancent, protégés par les arcanes, les flèches partent et touchent, les lames mordent et tranchent, le feu purifie. Le Comte crache vague sur vague, demeurant hors de portée des sorts et des flèches, et les combattants sont mis à rude épreuve. Mais la non-vie est vaincue, et les regards fouillent la plaine à la recherche du nécromant.

Alors, dans un déchirement terrible, le ciel s’ouvre sur une faille aussi noire que l’encre, aspirant l’air de ce monde, obligeant les Sentinelles à de protéger derrière les vestiges de muret. L’ombre descend maintenant de la faille, prenant forme, celle d’un géant longiligne. Sa bouche s’ouvre sur un cri silencieux, une bourrasque puissante qui couche les arbres, détruit les palissades et fait vibrer les murs. Seul, face à lui, le Haut Druide, invoquant les forces de la Nature pour contrer celles de l’Ombre. Le choc se produit, la noirceur heurte le granit solide de la forme que le druide a adopté maintenant.

Le combat reprend, plus féroce que jamais, l’Ombre semblant reprendre des forces à chaque instant, aspirant chaque parcelle d’obscurité du paysage. Les corps faiblissent, les blessures pleuvent, la magie tombe, rien ne semble faire effet contre cette chose qui malmène, projette, déchire et broie. Sans une solution qui ne peut venir que des arcanistes la défaite est inéluctable. Alors que tout semble perdu, le ciel s’ouvre de nouveau, sur une éclatante lumière, d’une splendeur incomparable, une lumière presque tangible qui coule en un flot sans limite sur la créature d’ombre, qui hurle, qui cherche à fuir. C’est le signal. Le golem de pierre surgit de terre, capturant les jambes de l’Ombre pour l’entraver et les combattants encore en état jettent leurs dernières forces dans la bataille.

Le monstre est tombé, le comte déchu s’est enfuit, son chat dans une main et sa canne dans l’autre. Ces terres ne sont plus à lui.

Dans les dernières lueurs du crépuscule, un groupe de Sentinelles hisse l’étendard à leurs couleurs sur les murailles de Runébène. Les protecteurs du Valsombre réclament cette place forte, reprise à la non-vie, assainie et purifiée. Cette place forte jadis bâtie sur des terres sanctifiées par le Grand Chêne, où l’antique archimage repose de son dernier sommeil. Elle est à eux, désormais, et leur prochain travail peut commencer.

Lorsque l’aube se lève sur la citadelle, l’étendard flotte toujours. Pour la première fois depuis des décennies, aucun mort-vivant n’est en vue. Une Sentinelle s’avance alors dans ce grand espace nettoyé et purifié. Elle se penche humblement vers le sol, ses doigts s’enfonçant dans la terre meuble, dans la terre riche et fertile. Elle en porte une poignée à son visage pour en humer l’odeur puissante et un sourire se dessine sur son visage. La Sentinelle se relève, adressant un signe à ses compagnons qui la rejoignent. Le temps est venu d’ensemencer la vie dans ce territoire reconquis.