Saturne - Journal d'une technomancienne

Cher journal,

Je t'inaugure en ce jour pour retrouver le plaisir d'écrire.
Je t'inaugure en ce jour pour garder un souvenir.
De moi, de lui ; tonton est parti pour le plus long voyage de toute sa vie.

Grand-père disait que la magie ne résout pas tout, alors tonton disait que la technologie ne peut pas tout faire non plus. Il disait que la sensation qu'écrire sur du papier, écrire à la plume ou au fusain peut procurer, ne pourrait jamais être remplacé par les touches de mon bouclier modulaire.

Alors voilà, j'essaie. Pour le moment, je dois reconnaître que sentir la plume glisser sur toi, cher journal, a quelque chose d'apaisant. Coucher ces mots, quelque chose de libérateur. Mais il ne faut pas que je pleure, il ne le faut plus.

Passons à autre chose : je suis allée voir les Sentinelles, comme tonton me l'avait recommandé. Je crois que je suis...officiellement une aventurière ? Ils parlent avec de grands mots, comme de grands enfants ; je crois qu'ils sont un peu naïfs.
Aussi, il fallait bien que je remercie leurs druides de m'avoir vendu d'excellents remèdes à des prix dérisoires : ils ont permis à tonton de vivre dignement ses derniers jours. C'est que les gens comme moi, comme nous - de la bordure de la cité - ne vont pas jusqu'en ville, à l'hôpital. Du reste, je n'ai aucune confiance en ces moandrites, qui ont l'air encore plus malades que tonton...

En tous cas, je dois à présent patrouiller les abords de Danaran ! Personne ne m'en voudra d'aller un peu plus loin. Plus rien ne me retient, maintenant que tonton est parti.

C'est comme ça que je suis tombée sur ces vieilles ruines infestées de gobelins. Une trappe mène vers des galeries souterraines aménagées. Elles sont désormais peuplées par les petits peaux vertes, mais je pense qu'elles étaient destinées à tout autre chose, autrefois : j'y ai trouvé des chambres de dimensions et d'allure humaines, des bibliothèques, et plus bas, un tombeau.

Les gobelins sont faibles mais retors : ils utilisent des techniques de guérilla. Ca me va bien : cela me laisse des répits pour récupérer et je peux combattre à distance. L'avantage des poignards volants, c'est qu'ils me permettent de garder mon bouclier modulaire et sont moins encombrants qu'un arc et un carquois.
Pixel fait le reste : c'est un drone efficace. Non seulement il se bat, mais m'assiste également grâce à son module de navigation ; sans lui, j'aurais tôt fait de me perdre dans ces couloirs labyrinthiques.

Voilà que je tombe sur des pièges. Je connais bien ces mécanismes ; tonton était l'un des meilleurs mécaniciens de la bordure de la cité, après tout.
Je sais comment les assembler...mais pas les désamorcer. Il existe un sort pour les repérer et les désarmer mais je ne le maîtrise pas encore. Oui, la magie semble comprendre les machines ; un piège n'est qu'une machine très primaire. Pourquoi ? Comment ? Serait-ce la magie elle-même qui a, un jour, inspiré les peuples à concevoir de telles choses ? J'aimerais percer le mystère de ce lien.

En attendant, Pixel les active et ne subit que peu de dommages ; rien d'irréparable pour moi. Pixel m'aide aussi à détruire les portes et les grilles verrouillées ; je ne maîtrise pas non plus ce sort... Enfin, les traits de glace sont tout aussi efficaces, au final. Ils rendent le bois, le métal et même ces toiles d'araignée friables.
Et la voilà, l'araignée, aussi grosse qu'un petit chien ! Plus de peur que de mal, pour nous en tous cas. L'araignée, elle, a fini morte, percée de couteaux.

Alors que des bolets et des agarics divers et variés poussent dans l'ensemble du réseau souterrain - les gobelins doivent s'en nourrir, dans une moindre mesure - des champignons tout à fait différents prolifèrent dans la salle des araignées : ils sont fins et tendres, avec un chapeau filamenteux. J'en ai capturé quelques images dans mon bouclier modulaire.

Spoiler:

Je les soupçonne de se développer sur la soie, à moins qu'ils ne profitent des restes des victimes des arachnides, voire des corps des arachnides elles-mêmes. D'après la base de données, il pourrait s'agir de coprinus éphémères, des champignons qui s'apparentent aux agarics, ce qui serait logique, étant donné la population mycologique de l'endroit. J'en ai prélevés quelques-uns avec leur substrat, pour essayer d'en apprendre plus sur leurs propriétés une fois rentrée.

Dans le caveau de l'étage inférieur, poussent d'autres champignons plus étranges encore, sur des plantes devenues bois avec le temps : des xylaires bois-de-cerf, dont j'ai également des images. Ils sont cependant plus volumineux et difficiles à prélever/transporter. Quant à leurs propriétés, il faudra que je consulte plus en détails la base de données à mon retour.

Spoiler:

Grand-père et tonton étaient d'excellents alchimistes et je regrette aujourd'hui de ne pas les avoir écoutés plus souvent, plus assidument...

Nul gobelin ici bas, mais des zombies et surtout, une momie en guise de gardiens des tombes. La momie est résistante, je suis parvenue à la détruire mais j'ignore si elle ne va pas se relever. Le coup puissant qu'elle est parvenue à me porter au détour du couloir ne m'a pas seulement déboîté l'épaule : je me suis sentie de plus en plus fiévreuse...

Je suis tout de même parvenue à sortir vivante de là. A l'heure où je t'écris, cher journal, je me sens encore un peu malade, en dépit des soins druidiques.

Mais c'est aussi ça, la vie d'aventurier.

Cher journal,

J'ai poussé plus loin mes explorations : aujourd'hui, j'ai trouvé la tanière des araignées dans le Valsombre. La grotte est infestée d'araignées venimeuses, petites comme ma main... Quelques araignées plus grandes peuvent être trouvées dans les niveaux inférieurs de la caverne, mais la masse grouillante d'arachnides m'a empêché de faire des prélèvements sur les carcasses ; il faudrait que je revienne accompagnée...

En attendant, j'ai pu tout de même prélever des glandes de soie sur les ettercaps que j'ai tués à l'entrée de la grotte. La taille réduite des araignées signifient sans doute qu'elles ne se nourrissent que de petits animaux à l'intérieur de la caverne : rats, chauves-souris et insectes en tête de file. Les araignées plus volumineuses, elles, doivent probablement aussi manger les plus petites pour survivre.
J'en conclue donc que les ettercaps choisissent de chasser uniquement à l'extérieur des proies plus grandes : cerfs et surtout aventuriers imprudents ou malchanceux au menu, voire des gobelins et des gobelours ; l'ettercap ne démontre aucune gêne à la lumière du jour et il n'est pas improbable qu'ils puissent chasser dans tout le Valsombre avant de ramener leurs repas à l'antre.

D'après la base de données, la soie d'ettercap, comme toute soie arachnide, possède des propriétés antiseptiques : les araignées s'en servent pour emprisonner leurs proies et les maintenir vivantes - donc fraîches - ainsi que pour tisser les cocons destinés à protéger leurs oeufs et progéniture pour un temps.
Il est en revanche assez complexe de s'en servir en tant que composant magique : la soie d'araignée - et d'ettercap - est un catalyseur pur mais fragile, qui convient à des flux magiques d'intensité et de débit réduits mais réguliers. Un contrôle parfait de la mana est nécessaire pour ne pas consumer la soie trop rapidement.

Je suis bien contente d'avoir retenu cette dernière partie des cours de grand-père, car je ne risque pas de retrouver un tel savoir ailleurs qu'à la Demeure du Savoir...
Je suis une héritière, je devrais pouvoir expérimenter et découvrir, dans la limite des mes pouvoirs, à partir de ces quelques notions de base. J'ai dit à messire Celdur que je l'aiderai pour les enchantements - voilà, cher journal, la première étape accomplie.

Je vais continuer à essayer de ressasser et brasser dans ma petite tête les leçons de grand-père... Ce n'est pas gagné.

Et damnée soit cette morsure d'araignée géante ! En dépit de l'antidote de messire Celdur et des forces telluriques conjurées par messire Brooks, mon bras est encore un peu gonflé et surtout, il me pique à l'intérieur.
Messire Brooks m'a dit que le venin d'araignée était destiné à nécroser les chairs ; voilà un enseignement que je ne suis pas prête d'oublier.

Cher journal,

Je dois bien te parler de Pixel, mon plus vieil ami.

Pixel est ce qu'on peut appeler communément une machine : un ensemble de pièces mécaniques assemblées, articulés et fonctionnant sur divers principes.
Pixel, comme la plupart des machines dont notre civilisation a héritées - comme mon boulier modulaire - fonctionne également grâce à la magie : c'est donc une machine technomagique ; rares sont les machines - gnomiques ou non - à ne pas l'être. On parle vulgairement de "technologie".

La technomancie (ou mécamancie) est un art mal connu hérité des peuples disparus de l'Ancien Empire. La plupart des machines d'aujourd'hui viennent de là-bas ou en sont (souvent directement) inspirées. Les machines de l'Ancien Empire fonctionnent toutes au Raelgil (nom exact : Iejiraelgil, "cristal de sang"), un minéral (cristal) formé à partir du sang de dragon dans des conditions incertaines.
Pixel aussi fonctionne au Raelgil et il consomme de plus en plus pour une raison que je ne m'explique que peu et mal. Mon hypothèse est qu'il a évolué - c'est un construct évolutif : son programme (esprit artificiel aligné sur un schéma plutôt qu'un complexe sort-koa) a été conçu pour s'auto-développer, corriger et restructurer. J'ignore cependant à quel point il a pu "progresser". Peut-être que je ne m'en rends pas vraiment compte.

Pixel m'a été offert lorsque j'étais encore très jeune ; tonton a conçu le réceptacle mécanique (corps) et grand-père l'esprit (avec l'aide d'autres mages de la Tour). J'étais alors très malade et Pixel était supposé m'aider à guérir... Je t'en parlerai peut-être un autre jour, cher journal. Je crois que je dois la vie à ce petit être, même si je ne comprends pas tout à son sujet.

Pixel est un drone de combat équipé d'un système d'ultrasons très élaboré. C'est avant tout un outil de navigation - équipé d'un module de cartographie, qui s'appuie notamment sur le principe du sonar -  plus sûr qu'une boussole et presque indéréglable par l'environnement.
C'est comme s'il avait été fabriqué en prévision de ce que je deviendrai un jour ; c'est ce que je me suis dit, après ma première expédition en compagnie des Sentinelles.

Pixel est également lié à moi, dans une certaine mesure : je peux transférer mon sort d'Analyse à travers ses yeux et l'envoyer examiner des éléments distants ; comme il vole, c'est franchement pratique. Les informations sont directement relayées par ondes au bouclier modulaire, qui peut ensuite les afficher sous forme de données, dans la limite de ses capacités.

Messire Celdur semble dire qu'il n'est que pur artifice. Je pense que même s'il a été artificiellement conditionné à de telles fins, ça ne rend pas ce qu'il est capable de penser et ressentir moins réel.

Ce n'est pas mon jouet, c'est mon ami et fidèle compagnon de toujours.

Cher journal,

J'ai fêté mes 18 ans cette année, alors que je vivais déjà il y a 50 ans. Je me souviens de tout, comme si c'était hier : grand-père maître mage à la Tour de Runébène...puis la guerre, et la destruction de la Tour ; on m'a expliqué qu'ils s'étaient tous sacrifiés pour vaincre Mandra la Sorcière.

J'ai tant pleuré, jusqu'à m'endormir d'épuisement...pour me réveiller des années plus tard, dans la "nouvelle Danaran", auprès de tonton - dernier membre du clan. Que s'est-il passé ? Que m'est-il vraiment arrivé ? Tonton m'a expliqué que la "maladie" m'avait encore frappée ; on m'a toujours caché des choses et on a continué.
Aujourd'hui, tonton et grand-père ne sont plus là, ils ont emporté ces secrets avec eux.

Je suis une héritière ; qui étaient mes vrais parents ? Comment me suis-je retrouvée à grandir au sein d'un clan de gnomes ? Serai-je jamais digne du nom de Brillegemme ? Un nom gnomique a-t-il la moindre valeur, la moindre force, dans la bouche et sur le front d'une humaine ? Dragon, gnome, humaine...qui suis-je vraiment ?

Quelle est cette "maladie" qui m'afflige depuis mon plus jeune âge ? M'a-t-on seulement utilisée, exploitée tout ce temps ? J'ai tant de questions et peu de réponses.

Il ne me reste qu'une seule piste : Pixel. Je suis sûre qu'il est l'une des clés de ces mystères. Comment ? Je l'ignore encore, mais je trouverai.

Je te laisse, cher journal. Je ferais mieux de fouiller la maison, tant que je peux encore l'appeler "chez moi" ; tonton est mort, la nouvelle s'est vite répandue en bordure de cité et surtout, le jour des taxes approche... D'ici que quelqu'un vienne réclamer la propriété - si humble soit-elle - il n'y en a plus pour longtemps.

Ca me rappelle que je dois aller trouver messire Key "la Hachette".

Cher journal,

J'ai fouillé la maison : j'ai trouvé quelque chose mais je n'ose pas encore l'ouvrir, pour l'instant...

J'ai également réuni tout le matériel de tonton ainsi que ses plans et documents ; le travail de toute une vie... Enfin, d'une dizaine d'années seulement, en réalité - depuis le retour dans la "nouvelle Danaran".
Je pense reprendre son œuvre : tonton était mécanicien et en bordure de cité, ce sont les pièges de trappeur qui se vendent le mieux. Je pourrai gagner ma vie de cette façon et même fournir les Sentinelles pour faciliter leurs chasses.

Un piège de trappeur est un piège mécanique relativement simple à transporter, activable une seule fois et rapide à poser, quelle que soit la localisation ; par opposition aux pièges plus volumineux, généralement destinés à protéger un lieu ou tendre une embuscade d'envergure, prévue longtemps à l'avance. Classiquement, il existe neuf pièges de trappeur :

acide, électricité, feu, froid, son, ralentisseur, gaz mortel, pointes, énergie négative

Révisons les bases :

Les pièges mécaniques sont composés de trois items principaux :
- Le déclencheur (lieur inclus).
- Le composé ; le "cœur" du piège.
- Le contenant ; optionnel, il contient le composé.

Le degré d'élaboration et de complexité de ces items permet de classer les pièges en cinq catégories, communément nommées :
- Faibles.
- Moyens.
- Puissants.
- Mortels.
- Epiques.

Il ne me reste plus qu'à reprendre les plans et formules de tonton, en essayant de les améliorer à ma façon, de mes propres moyens.

Cher journal, au travail !

Cher journal,

Ca y est ! Ils ont dit oui : j'ai mon propre atelier ! Il n'est pas très grand mais bien agencé, et il y a tout ce qu'il faut : des caisses et des tiroirs intégrés, plusieurs plans de travail différents (de matières différentes, pour les différentes opérations), dont un en tiroir amovible et des espaces pensés pour fixer les instruments de tonton aux rebords ; je les ai installés et réglés.
J'ai aussi ramené du matériel d'alchimie du laboratoire de la tour abandonnées : j'ai récupéré le peu d'ustensiles en état que j'ai pu y trouver et ça suffira à couvrir mes maigres besoins en la matière pour mon "art".

Je vais me mettre au travail bientôt, en commençant par le plus simple du compliqué : le piège de feu.

Pour le moment, je vais me contenter d'un déclencheur assez basique : un fil de fer fin tendu. Il faut que le fil - et la bobine - soit correctement conçu pour ne pas casser au seuil de tension donné : un goupillon permet d'étirer le fil jusqu'à à ce seuil, délimité par un système de verrouillage interne de la bobine.
A ce verrou est attaché un second fil de soie d'une certaine longueur. On peut le raccourcir selon les besoins pour lui imposer une tension suffisante également en le raccordant au cœur du piège. Ainsi, un poids suffisamment lourd exercé sur le fil de fer déclencheur va tirer sur le verrou, qui lui-même va tirer sur le fil de soie, qui actionnera le piège.

Là par contre, je vais opter pour un système un système de goupille - que j'ai retrouvé dans les documents de tonton - déjà plus élaboré : la goupille enlevée permet à plusieurs produits - initialement stockés dans des compartiments séparés - d'entrer en contact et de provoquer une explosion.
Les feux alchimiques fonctionnent sur le même principe : deux phases non miscibles cohabitent dans une fiole ou une bouteille, qui, une fois brisée, laisse les produits - miscibles au contact de l'air - se mélanger dans le choc de l'impact.

Plusieurs problématiques se posent :
- Il faut des composants de la taille la plus réduite possible pour faciliter leur dissimulation : cela réduit le nombre et la quantité des produits utilisables dans le coeur du piège.
- Dans la nature, les créatures utilisent aussi beaucoup à l'odorat : un chasseur doit donc apprendre à masquer les odeurs fortes des produits, même si ceux-ci se trouvent dans un contenant.
- Les produits qu'utilisaient tonton sont distillés à base d'éther : il me faut un approvisionnement en alcool.
- Certaines pièces de base pourront m'être fournies mais d'autres devront être forgées sur-mesure.

J'ai déjà des solutions.

Je réfléchis aussi à comment rendre l'explosion plus ravageuse :
- La première possibilité est de trouver de nouveaux composants alchimiques, plus explosifs.
- Contrairement aux feux alchimiques, ce piège ne fait pas intervenir la force cinétique d'un impact et d'un procédé de mélange ; il faudrait que j'imagine un tel système - en retravaillant le déclencheur, peut-être - qui élargirait déjà le choix des composants.

Pour l'instant, mon idée la plus concrète serait de faire intervenir un gaz, dans un double procédé à retardement : une première goupille - ou cran d'ouverture - libèrerait un gaz inflammable très volatile dans l'air. La volatilité du produit sera primordiale car il doit se propager le plus possible en un temps très limité, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'une seconde goupille permette un premier mélange de produit, provoquant l'explosion initiale, qui embraserait le gaz pour provoquer une seconde déflagration, plus conséquente.

Là encore : comment et où trouver un tel produit ?

Je devrais commencer à analyser les minéraux lors de nos expéditions...

Cher journal,

Je m'en souviens encore parfaiement - ces trois moments :
- Le premier squelette tué d'une dague de glance.
- Le premier loup abattu pour protéger messire Brooks.
- Le loup abattu sur la route de Juna.

Une embuscade de squelettes ; je ne les ai pas entendus approcher dans les ombres, je ne les ai vus qu'au dernier moment - trop tard : ils étaient déjà passés à l'attaque. Les Sentinelles le savaient mais ils n'ont rien dit : ils voulaient éprouver mes capacités dans ce Valsombre que je ne reconnaissais plus.
J'ai eu le bon réflexe de courir pour ne pas me retrouver encerclée - ils l'ont souligné - mais un squelette m'a poursuivie : il allait m'atteindre, je devais réagir. Un poignard n'aurait pas suffi - j'ai conjuré une dague de glace ; c'était déjà terminé pour moi : je n'étais déjà plus une fille ordinaire à leurs yeux, à tous.

Un peu plus tard, un loup affamé surgit et bondit sur messire Brooks : il l'attaquait pour tuer. Mon choix fut vite fit : une autre dague de glace vint se planter entre les yeux du loup, mort sur le coup.

Plus récemment, nous revenions de la jungle de Juna avec les Sentinelles. Messire Brooks demanda à Indis de "se charger des loups", qui ont l'habitude de chasser sur cette route. J'aurais pu la laisser faire, ou même laisser messire Brooks. Non, je devais , je voulais le faire : les tuer moi-même. C'était facile, pourquoi laisser les Sentinelles se fatiguer ? Je voulais leur montrer que j'en étais capable - de tuer. Ne le savaient-ils pas déjà ? Bien assez.
Ma pulsion l'emporta sur la raison, ocultant même ce que les Sentinelles m'avaient pourtant déjà appris : il ne faut pas tuer mais apaiser les bêtes lorsque c'est possible ; ils en sont capables.

Les trois cas sont différents : mes raisons n'étaient pas les mêmes. Il y a cependant un point commun à ces situations : j'ai agi par instinct, sans réfléchir aux conséquences.
Au-delà d'un petit secreté trop vite révélé, d'une vie animale qui aurait pu être épargnée, d'une leçon trop vite enterrée, c'est surtout l'instinct qui me consume et m'anime qui m'effraie. C'est si simple d'avoir recours à la magie ; elle coule dans mes veines, elle m'appelle pourtant que je brûle de désir d'en user. Je ne peux pas m'en empêcher, je ne veux pas m'en priver.

Mais quel sera le prix à en payer ?

Cher journal,

Il n'est pas un ensorceleur qui use de la magie de la même façon qu'un autre, mais la façon dont je tisse semble singulière : je compose des combinaisons de symboles sur différentes consoles magiques ; chaque combinaison correspond à un sort. Je le fais de façon innée, comme si ces interfaces faisaient partie de moi : je comprends et lit la magie comme un code, décomposable en séquences. J'ignore si la magie est ainsi faite, mais c'est sans doute une part de la réalité de son existence et fondement, à laquelle je suis capable d'accéder.

A travers la magie, je peux comprendre le monde comme une somme d'informations : le sort d'Analyse me permet de plonger dans une sorte d'univers (parallèle ?) qui se décline comme un réseau de réseaux, une macro-toile d'araignées faite de micro-toiles, dont chaque extrémité recèle des objets définis comme un ensemble d'informations : des mots et des chiffres posés sur des savoirs, des connaissances, des secrets et des mystères mais également des images et des sons. Ce vaste monde, je l'appelle la base de données.
Il n'est pas aisé de naviguer dans la base de données : souvent, il faut plusieurs essais pour cerner une question ou un sujet avec précision. Je sens également que mon être lui-même - corps et esprit - est incapable (ou inapte, la nuance est importante) à s'y enfoncer au-delà d'une certaine "distance". Parfois, je heurte même cette limite presque physique, tangible, comme une barrière que seul l'entraînement me permet de contourner. Il y a pourtant bien un moment où je ne pourrai plus la repousser plus loin.

Ce qui m'intrigue plus encore, au-delà de la singularité de ma "compréhension" et appréhension de l'Art, c'est la similitude de cette "forme" de tissage et de magie aux systèmes de certaines machines, à commencer par Pixel : l'ouverture de la batterie se fait via une interface miniature quasiment identique aux miennes.
Que cela signifie-t-il ? Quel est ce lien qui unit la magie et les machines ? Que se cache-t-il derrière les arcanes de la technomancie ?

Quel est le lien entre moi...et tout ça ?

J'ai l'intime conviction d'avoir réalisé quelque chose qu'on a cherché à me cacher depuis toujours à propos de moi, mais je n'arrive à mettre ni le doigt, ni des mots dessus. Pixel et le Raelgil peuvent-ils m'apprendre d'autres choses ?

Messire Brooks a raison de me pointer vers l'Ancien Empire.

Cher journal,

Ca recommence, comme avant : la Maladie...

Elle a déjà failli me tuer, c'était il y a si longtemps. 15 ans plus tard, elle me plongeait dans un sommeil dont je ne me suis réveillée que 50 années après ; je ne reconnaissais plus rien : la guerre était finie, nous vivrions désormais dans la nouvelle Danaran, reprise aux morts. Je me souviens à peine m'être endormie. C'était suite à la destruction de la Tour de Runébène - grand-père s'y trouvait. On m'a expliquée qu'ils s'étaient tous sacrifiés pour vaincre Mandra la sorcière ; je ne l'ai pas supportée. Je ne me souviens pas d'avoir rêvé... Sommeil de mort.
Pourquoi revient-elle aujourd'hui ? Cette Maladie. Ne m'a-t-elle pas déjà suffisamment pris ? Un enfance dans l'ombre de la mort, plongée dans la terreur et la souffrance - ma famille, massacrée durant la guerre, tandis que je "dormais"... C'est ce que mon oncle - le seul survivant du clan - m'a expliqué. Etait-ce réellement l’œuvre de la Maladie, ou un autre mensonge pour me cacher la vérité ?

Pixel se décharge de plus en plus vite et dans mon état actuel, je n'ose pas le recharger de mes propres ressources ; je vais devoir demander - j'ai horreur de ça. Est-ce le programme qui consomme de plus en plus ou est-ce que - comme Aleister l'a suggéré avec ses propres mots - le Raelgil qui est de plus en plus dilué ? Au moins, mes pouvoirs ne s'affaiblissent pas, c'est même tout l'inverse.

J'ai désormais une nouvelle famille, je ne veux plus m'endormir, je ne veux pas mourir...mais comment combattre un mal dont je ne comprends rien ? Messure Celdur pense que c'est peut-être mes émotions qui déclenchent la Maladie. Depuis, j'essaie de les contrôler, mais qu'est-ce que ça signifie vraiment ? Heureusement, Il est là pour m'aider. Sans Lui, la dernière fois, le pire aurait pu arriver ; il y avant tant de monde...

"Calme" - je l'écoute.
"Ca va aller" - je le crois.
Je me concentre sur quelque chose que je ne comprends pas pour faire taire les autres voix ; ça marche presque bien.

Et si c'était Lui, le remède qu'il me fallait ?
Je ne peux pas croire une chose pareille... Absurde.

A mes yeux, l'endroit n'est ni laid, ni beau, mais il est calme. Aujourd'hui, je sais qu'il est aussi apaisant - c'est grâce à Lui, Il m'a appris à comprendre le cycle. Au début, je ne comprenais pas et c'est pourtant au Cercle que je me suis rendue, instinctivement, lorsque la Maladie est revenue et que j'étais seule pour y faire face. Je savais que le Cercle m'aiderait à dominer mes émotions, d'une façon ou une d'autre, mais je n'avais jusqu'alors jamais réussi à y méditer comme messire Celdur le fait : le Cercle est un nexus où les énergies telluriques remontent vers le ciel - c'est une partie du cycle - et ces énergies m'oppressaient, je les ressentais comme des corps étrangers en moi. Je comprends désormais qu'en réalité, elles ne sont pas "autres" : nous faisons partie d'un même tout. J'ai appris à ressentir cela dans ce lieu sacré et j'essaie peu à peu de le vivre aussi au quotidien. Il me reste encore tant à savoir, mais j'ai trouvé là ma deuxième arme pour affronter, et un jour, vaincre la Maladie.

J'aime contempler le moulin de la campagne à mes heures perdues : je le regarder tourner, j'observe les gens y travailler ; ce spectacle a quelque chose de fascinant. Depuis que j'ai rejoint les Sentinelles, j'ai appris à admirer et respecter les forces naturelles et les éléments - le vent, mais un moulin, ce n'est pas que ça : c'est aussi un système très ingénieux pour emprunter la force du vent et s'en servir pour nourrir tout un peuple.
Messire Celdur semble opposé à l'idée d'utiliser des machines pour augmenter la productivité des cultures mais ce moulin - à l'instar d'autres technologies et techniques d'agriculture - n'est-il pas le précurseur des machines issues de la technomancie ? Y verrait-il également un mal ? Je suis sûre que les machines peuvent faciliter le travail de ces hommes et femmes, faciliter nos vies. Je n'oublierai pas de respecter le cycle, mais je vais continuer à regarder le moulin tourner ; inspiration...

Je l'ai lu, j'en ai rêvé, mais jamais je n'aurais pensé le voir de mes propres yeux un jour : des îloes volantes reliées entre elles par des chemines de nuages et de pierres flottantes. "Enchanteur" est le mot qui convient pour décrire l'endroit, fait de paysages presque pastels, qu'ils soient ocres, gris, verts ou azurs. J'y ai retrouvé un rêve d'enfance, émoussé par le temps et la peur du vide - vertige, puis tout me revient : je rêvais autrefois d'habiter dans un château dans le ciel ; aurais-je été une princesse ou une machiniste d'un autre temps, comme ceux de l'Ancien Empire ?
Cher journal, ma main tremble presque (d'émotion et d'excitation) alors que je te confie ces secrets que je ne peux partager avec presque personne. J'ai affronté mes peurs mais je sais que je n'ai remporté qu'une bataille - courage. Aurais-je pu vivre là-bas ? La réponse importe peu, et pourtant, j'ai le sentiment qu'elle pourrait détruire tout un monde qui n'appartient qu'à moi ; oserais-je voler à nouveau, un jour ? Je me demande comment ce navire faisait : une "nef volante", comme dans les livres - il volait bel et bien ! Qu'y avait-il dans ce ballon ? Ce n'était pas de la magie, mais ça a fini par exploser. Réfléchis Saturne...

Pourquoi ? Je voulais, j'espérais des réponses. J'en ai tant besoin, mais il a fallu que vous me laissiez une dernière énigme... J'ai eu envie de hurler, de pleurer. Je l'aurais fait s'Il n'avait pas été là. Comment fait-Il pour toujours sourire, alors que ça m'a toujours difficile, impossible - comme interdit - de naissance ? Non, ce n'est pas vrai, Il ne sourit pas tout le temps et je déteste le voir triste, mais c'est une autre histoire... Il n'a pas la moindre idée de ce qu'il dit, mais il me l'affirme et il y croit : "Ce n'est qu'une autre énigme passionnante et nous la résoudrons !"
Il est aussi fou que vous, mon oncle ; L'auriez vous apprécié ? Je suis presque sûre que oui. Il ne me reste qu'à Le croire, moi aussi : je réussirai à déchiffrer le dernier message que vous m'avez laissée à travers ces cartes. Elles ne me parlent pas encore, mais je les trouve magnifiques. A présent, cher journal, qu'est-ce que j'ai bien pu manquer ? Il y a forcément quelque chose - un détail - que j'ai dû rater. Regardons encore une fois.

Cher journal,

Corps et esprit peuvent-ils être traités individuellement ? C'est l'un des grands débats du monde des arcanes. On prendra souvent la liberté de considérer l'un ou l'autre comme un élément isolé pour des cas d'étude, mais en réalité, si corps et esprit sont distincts, ils sont aussi étroitement liés : un arcaniste ne peut entraîner l'esprit en négligeant complètement le corps ; le mien ne supporterait pas la pression imposée les flux magiques et les courant qui traversent régulièrement mes poumons.

L'esprit se compose de trois artefacts :

- La psychée, qui onstitue la "base" sur laquelle repose l'ensemble défini comme esprit isolé. La psychée est en contact et interagit avec l'âme. Cette jointure est le siège des sentiments et permet la réflexion ("l'intelligence"). C'est aussi elle qui définit la "force de volonté".

- La ramification, qui peut se définir comme un réseau reposant sur la psychée. Des points jonchent le réseau et ses extrémités : ils constituent la mémoire d'un esprit (connaissances, souvenirs). Lorsqu'on explore un esprit, on explore en fait et avant tout sa ramification, c'est-à-dire son "monde" psychique/spirituel.

- La transition, qui est le lien/basculement entre le corps et l'esprit. La transition a une double existence : à la fois psychique (exprimant la psychée) - certains préfèrent la notion de "mental" - et physique, qui se matérialise par une réaction du cerveau, qui commande le corps. La transition se fait aussi dans l'autre sens : par le biais du cerveau, le corps (les sens, par exemple) envoie des items porteurs de signifiés, d'informations et d'autres éléments à degrés variables (exemple : intensité) à l'esprit, qui s'en trouve modifié en conséquence.

En agissant sur le corps, on peut donc altérer l'esprit. Réciproquement, agir sur l'esprit a des conséquences directes et concrètes sur le corps : je viens de te donner, cher journal, la première règle qui définit l'école de l'enchantement.